• (Le salaire de la) Peur

    La peur…

    Peur

     

    Tu la connais, Parent, la peur...

    ... et tes enfants aussi la connaissent très, très bien.

    Cette émotion qui peut s’instiller en nous de manière soudaine ou au contraire très lentement, petit à petit commPeure une toute petite tâche noire qui gagne du terrain, lentement mais sûrement…

     

    Ce lundi 09 décembre, quand j’ai pris la décision (d’apparence saugrenue et irréfléchie) de bloquer le portail de mon école, je l’ai ressentie à divers degrés.

    Peur de ce que les parents d’élèves allaient penser, peur de me faire taper sur les doigts par le maire de la commune ou par mon inspecteur, peur que mes collègues ne fassent les frais de ma décision…

    Peur aussi que quelque chose ne « dérape » avec mes élèves : que l’un d’eux ne s’échappe par le portail par exemple... Mais cette peur-là a été, elle, très vite contrebalancée par la connaissance que j’ai de mes élèves bien sûr, mais aussi par la confiance que j'ai dans les professionnelles avec qui je travaille (les AESH) et  en mes propres compétences pour gérer les situations "inhabituelles" (finalement assez fréquentes dans notre métier).

     

    La véritable peur que je ressentais datait de bien plus longtemps que ce 09 décembre 2019 et il m'est beaucoup plus difficile de mettre des mots dessus, de la cerner, de la circonscrire...

    Je la résumerai ainsi : au fil des quatorze années passées à exercer mon métier au sein de la Grande Dame Education Nationale, ma plus grande peur est

    celle de basculer du côté obscur…

    Peur

     

     

     Peur

     

     

     

     

    Si, si, bien sûr !

    Alors, laisse-moi t'expliquer ce qu'est, pour la prof des écoles que je suis, le côté obscur :

     

    Je crois qu'il s'agit de ces deux choses:

    • l’habitude
    • l’aliénation

     

    J'ai peur, et je ne veux pas m’habituer à certains aspects du quotidien qui me semblent révoltants :

    • m’habituer à la tension qui peut régner entre Parents et Enseignants se regardant trop souvent en chiens de faïence, chacun de leur côté du portail, critiquant et se méfiant au lieu de collaborer pour le bien-être de l’Enfant
    • m’habituer au manque de considération des enseignants : de l’échelle locale où les municipalités prennent régulièrement des décisions pour l’école sans même prendre la peine de demander leur avis aux enseignants à l’échelle nationale (et je ne m’étendrai pas sur ce sujet car il y en aurait vraiment trop à dire)
    • m’habituer à ce que la Loi ne soit pas respectée... que des élèves censés recevoir des moyens humains et/ou matériels alors que leurs parents effectuent un véritable parcours du combattant médical, social et administratif, ne reçoivent toujours pas l’aide indispensable à leur scolarité m’est devenu insupportable...
    • m’habituer à voir des collègues dépérir,

    ne plus aimer leur métier,

    des collègues -jeunes dans le métier- arriver le matin avec la boule au ventre,

    d'autres -plus chevronnés- commencer à virer aigris alors qu'ils ont toujours le Feu sacré, 

    ne pas vouloir de ces postes de direction qui deviennent un siège périlleux même pour les plus purs d’entre nous…

     (et sur ce dernier point, je te renvoie, Lecteur, à la lecture de cet article-là et de celui-ci)

     

    Je parlais aussi, Parent, de la peur de l’aliénation.

    - Aliénation au sens premier du terme : le fait de perdre un droit, un bien naturel…

     Le gel du point d’indice, la réforme des retraites, la perte de respect lié à la profession, le mal-être Enseignant avec son lot de dépressions et de suicides sont comme des bulles qui, enfin, commencent à éclater sous les yeux de l’Opinion Publique.

    Notre liberté pédagogique, notre liberté de penser, nous nous devons, en tant qu’enseignants, de la défendre coûte que coûte.

     

    - L’Aliénation, au sens d’une situation qui nous dépossède de notre Libre-Arbitre, de ce qui constitue notre être essentiel, notre raison d’être et de vivre[1] me menace aussi bien dans mon rôle d’Enseignante que dans celui de Maman.

    Celles et ceux qui prétendent que je peux choisir entre les deux, être davantage l’une que l’autre, ont tendance à me faire peur.

    Parce qu’on n’a pas à choisir entre les différentes facettes de notre Vie: elles sont comme des poupées russes qui s’emboitent les unes aux autres…

    J’ai peur pour l’avenir de mes deux enfants, tout comme j’ai peur pour celui de mes élèves. Je m’inquiète d’eux au présent et je veux qu’ils évoluent dans l’environnement le plus serein possible.

    Mais j’ai aussi peur pour mon enfant du passé. L’enfant qui est toujours en moi, qui a choisi ce métier par vocation, en croyant dur comme fer qu’il s’agissait du plus beau, du plus utile ; non pas en dévalorisant les autres métiers, mais simplement par instinct et pour répondre à un sentiment indéfinissable, ancré tout au fond...

     

    (Le salaire de la) Peur

     

     

     

     

    Heureusement, aujourd'hui, c'est le 2 janvier, le moment donc de prendre des bonnes résolutions... Jean-Mich-mich souhaite le bonheur à l'école? Ça tombe bien: les enseignants aussi !

    (Le salaire de la) Peur

     

     

    [1] Définition du Larousse

    « Souvenirs souvenirs...Grosse fatigue... »
    Partager via Gmail

  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :